Plein de petits Lyonnais au Tchad, Al hamdu lillah aucun stéphanois

Plein de petits Lyonnais au Tchad, Al hamdu lillah aucun stéphanois

jeudi 5 mars 2009

LE MOT D'YVANNE



Yvanne, c’était l’Ange gardien du CCF (Centre Culturel Français), le seul lieu à l’heure actuelle qui propose des activités culturelles. Elle était responsable de la programmation. Elle a finit ses deux années de mission pour l’ambassade à la fin de l’année 2008. D’après le nouveau directeur arrivé il y a quelques mois, sans elle le CCF aurait certainement fermé ses portes après les pillages qui ont suivis les évènements de février 2008.
Son sourire et son énergie manquent à beaucoup.
Même si on s’est finalement que croisé, j’ai quand même eut le temps de la connaitre et de l’apprécier et je me suis dis qu’une touche féminine avec un autre angle de vue pouvait être intéressant.

« Ce pays de merde que j’aime beaucoup »

Séjour au Tchad terminé ! Xalas ! Quelques fragments de vie par touches impressionnistes qui s’étalent sur deux années (2007-2008). Difficile de faire le bilan d’une expérience dont je ressors ? … Perplexe et enthousiaste, fougueuse et vieillie, inassouvie et épanouie…

Episode 1 : « Entre ciel et rêve » ?
Je crois qu’ « entre rêve et terre » convient mieux. Poussière et chaleur sèche, lumière ocre.
Hier soir, avant-première d’un film tchadien, Tartina City. Salle comble, le public s’attend à une légère variation dans le désert ! Choc… Exploration des prisons souterraines pendant la dictature d’Hissène Habré. Les Tchadiens n’osent même plus répondre à leurs appels téléphoniques et entament un rire mécanique avant chaque séquence de torture. Fin. C’est notre Histoire, c’est trop dur. On hésite avant d’aller boire un verre à la cafét du CCF. Le directeur se plait à répéter qu’on a fait ce soir un formidable effort de mémoire. Et il se prend tout à coup d’une affection immense pour le réalisateur qu’il traitait deux heures plus tôt de bandit. L’artiste n’est pas dupe, il sourit en coin…
Daratt, à côté, c’est du miel. Enfin, la nuit passe, deux avions militaires font tressaillir les murs de mon immeuble et mes oreilles assoupies. Cinq heures du matin, les militaires, encore eux, sont déjà éveillés et vocifèrent des chants étonnamment mélodieux dans la rue : entraînement quotidien, ils sont des centaines à courir autour de la ville, course en cadence contrôlée. Si l’un d’eux a une défaillance, on dit qu’on le force à nager dans les égouts-dégoût puis à ramper sur le goudron pour qu’il s’abîme irrémédiablement la peau encore trop fraîche.
J’habite à côté de la présidence et tous les matins, je me pose la même question : comment, à quinze ans, peut-on être fier de faire le guet six heures durant, un kalachnikov encombrant des bras encore un peu frêles, convaincu que l’on protège un président qui en réalité, a beaucoup mieux à faire avec son approvisionnement en vodka Absolute.
Et pendant ce temps, les militaires français se laissent aller à l’illusion qu’ils sont les rois de la piste. La nuit tombée, ils prennent le look « métro parisien » ; petit tee-shirt saillant qui permet d’afficher leur seul argument valable: les pectoraux d’entretien. A défaut de faire ce voyage exotique au Tchad pour entretenir la paix, on croit se réconcilier avec « les Indigènes » en administrant quelques caresses maladroites à des jeunes femmes qui exhibent tout aussi maladroitement leurs arguments postérieurs. Bon, ils s’arrangent entre eux. Les jeunes tchadiens respirent quand les 12 coups de minuit retentissent et que les hommes aux cheveux trop courts pour rester anonymes, regagnent (en lignes courbes) leur caserne à la hâte.
Et moi, je me dis que la légèreté, ou du moins, l’envie de légèreté, permet de respirer un peu. Alors je m’en vais au marché. Je m’adresse à la vendeuse derrière son voile, qui doit m’esquisser un sourire en retour que je ne vois pas !
[…]
Il paraît qu’il faut conserver intacte sa capacité à rêver et je me garderai à présent de confondre cela avec les choix d’illusion exotisante… En tout cas, le décor est dressé, belle aventure de modification du rapport entre soi et la réalité. Accepter de ne pas changer le monde ni de se changer soi, juste admettre que le rapport entre soi et la réalité est entré dans un processus de modification irrémédiable. Expérience d’une forme de Vide vertigineuse. Je me tais, j’ai peur de plomber l’atmosphère ! (J’ai le sourire, quand même !)
------------
Episode 2 : Voiture-est-là !
« Mais qu’est-ce que tu fichais dans « les quartiers » à deux heures du matin ? » me demande mon chef quand je lui explique qu’en sortant d’une soirée, « j’ai perdu ma voiture ». « Comment ça, perdu ta voiture ?! ça ne se perd pas une voiture, ça se vole ! »
La police de N’Djaména, après avoir appelé les deux ou trois bandits susceptibles d’avoir fomenté le coup, vient chez moi à peine une heure après la déposition et m’annonce héroïquement que le véhicule est retrouvé. Croyant d’abord qu’il s’agit d’un miracle, la somme que la police ose me réclamer juste après le miracle, me fait quelque peu douter de cette efficacité spectaculaire ! Ils veulent quand même que j’attende la télévision pour prôner à l’antenne les mérites de leur institution ! Je m’enfuis du commissariat en roulant !
[…]
Mes deux voisins blancs rentrent en France pour quelques semaines. Ça me paraît surréaliste de les imaginer dans un contexte parisien, et pourtant… Ils sont parisiens ! Qu’est-ce qui est si différent ? Je mange pourtant des biscottes avec de la confiture, prends du café, écoute le même type de musique, fais les choses dans le même ordre quand je me réveille le matin, dis au revoir à la caissière une fois que les comptes sont bons. Qu’est-ce qui change vraiment ?
J’ai chaud mais je ne m’en rends pas compte. Cette chaleur est une traîtresse, elle donne une impression de torpeur, de gêne mais sait se faire oublier tel un vieux papier peint qui stagne sur les mêmes murs depuis des années, qui impose sournoisement une atmosphère mais que l’on ne voit plus.
PAUSE de trois jours, aujourd’hui, c’est la Saint Valentin ! Ici, c’est une grande fête. Des animations ont lieu dans tous les bars de la ville. Quelques jeunes rappeurs tentent maladroitement de m’inviter mais ce soir, je suis là, tranquille, à l’ombre de ma moustiquaire. A N’Djaména, les pires rebelles, ce sont les moustiques : ils sont avides du sang des blancs, adorent se remplir le corps par petits prélèvements douloureux et insistants ! Les salauds, à force de rébellions nocturnes, ma peau va ressembler aux murs de Beyrouth criblés d’impacts sanguinolents.
---------
Episode 3 : le temps des tam-tams
Encore une pause d’une semaine. Je croyais que l’Afrique octroyait le Temps… d’errer oisivement. Le Temps pour vivre est le même partout, c’est juste un choix à faire mais mon rapport à ce fameux temps est complètement déjanté ici. Je rêve de trouver le temps de faire le ménage… Etonnant pour ceux qui me connaissent bien ! Je rêve de trouver un lavomatique parce que je n’ai pas la bonne technique de lavage à la main : mes doigts finissent toujours par être beaucoup plus propres que mes vêtements incrustés de poussière. Je rêve d’aller courir dans les champs mais le soleil cuisant, la circulation, la poussière, les gaz à échappement, les militaires, l’état d’urgence sont autant de facteurs peu favorables à cette fantaisie !
Et puis, il y a tout ce dont je n’ai plus besoin de rêver ! Les jus de fruits pressés banane-avocat ou goyave-citron, les guitares-tam-tam à la lueur des feux de bois, sous la voûte étoilée, le carrelage de la salle de bains jamais froid, le soleil déjà radieux alors que je dors encore, les rappeurs qui rappent, les danseurs qui dansent, les chanteurs qui ont des choses à dire et qui savent aussi faire rire…
-----------
Episode 4 : quelques samedis plus loin
Si j’avais des histoires à vous raconter, ce serait encore celle de ces soldats qui règnent nerveusement sur toute la ville dès que le président est de sortie ; le centre culturel français entouré de chars, le canon pointé vers l’horizon tranquille (parce que le même monsieur-président, a décidé de compliquer la vie de tous les N’Djamenois en venant à la finale de football de la CEMAC).
Mais je rêve déjà du concert de Lokua Kanza vendredi prochain, « d’Attachez vos cadavres » et des « Jambes d’Alice », pièces de théâtre au programme cette semaine !
Entre ces deux dynamiques aux antipodes : Danser et Dormir, je dois trouver la mesure. La vitalité est un bien à négocier constamment (entre les pannes de voiture et les maux de boyaux)
-------------
Episode 5 : les saisons au rythme de la faune n’djamenoise.
Et puis vint ce 1er mai qui me rappelle la France. C’est férié ici mais c’est à l’initiative de là-bas. Il fait étonnamment gris ici aujourd’hui et pourtant, c’est un temps de là-bas. Là-bas c’est le printemps, ici, la saison des margouillats. J’ai toujours peur d’en écraser un quand je démarre la voiture mais ces gros lézards sont comme les pluies de printemps, ils s’infiltrent partout, sans perdre leur sang froid. Un bataillon de militaires est passé devant la maison à 5h du matin, comme tous les matins. Ils courent au rythme de leur chant ou plutôt, leur voix est segmentée au rythme de leur course. […]
Les oiseaux recommencent à piailler. Je n’ai jamais détesté les oiseaux à ce point. Ils annoncent la saison des pic bœufs, ces envahisseurs qui défèquent sans retenue partout où ils se posent. Même comportement que les forces de l’ordre : grégaires et bestiaux. De par leur nature, j’excuse les oiseaux.
Si je déteste le pic bœuf, ce n’est pas pour rien : c’est un oiseau pris dans la pesanteur de son propre réservoir de merde. Comment peut-il être léger, avec tellement de merde en lui ?
C’est ça, ce pays de merde que j’aime beaucoup (dixit Koulsy Lamko) appesantit toute aspiration poétique. J’en suis arrivée à tenir des propos scatologiques. Mais paradoxalement, quelle légèreté!
_______
Episode 6 : vendredi 1er février 2008, veille des attaques rebelles
Nous écoutons RFI, attendons les messages radio de l’ambassade de France… Les rebelles s’avancent, les tirs à l’arme lourde ont commencé à Massaguet, à 80 kms de N’Djamena. Mais tout cela reste abstrait. Nous sommes enfermés dans la résidence Kasser. La circulation dans la rue donne l’impression que les consignes que l’on reçoit sont issues d’une paranoïa digne de l’Etranger qui a peur. Je me rends compte que j’ai vraiment envie d’aller travailler, que le désoeuvrement fatigue, que la vie en groupe a ses limites. Je ne sais plus si j’ai envie de dormir ou au contraire, de faire un effort de lecture, histoire de dire que pendant les Evénements, j’ai lu un super roman ! Les films, j’en ai déjà trop vu. C’est comme de rester passif devant la télévision, à force, on s’épuise de ne pas faire fonctionner ses neurones et sa langue !
Alors voilà, on parle de la guerre, on se dit que peut-être, nous sommes entrain de vivre un moment bouleversant au Tchad… Est-ce qu’Idriss Deby a décidé de rester ?! Je n’en sais rien. Mais ce qui domine en réalité, c’est un sentiment de monotonie qui m’empêche d’aller chez le tailleur, d’aller boire un verre à Moursal, de pouvoir envoyer des textos, de donner des nouvelles sur le net, de maîtriser notre programmation CCF de février en croyant fermement que tout l’investissement en amont aura servi à quelque chose.
Oui, c’est le doute qui s’installe, en se disant que de toute façon, rien ni personne ne pourra changer la vie des gens ici. Le même schéma se répète inlassablement. Au pire, des morts, au mieux, des négociations. Dans tous les cas, le même despotisme autoritaire.
----------------
Episode 7 : samedi 1er mars 2008, une fois la joie passée des retrouvailles avec TOUS les collègues et amis tchadiens
(après le rapatriement, le retour à N’Djamena)
C’est le rendez-vous de tous les premiers ou quoi ?
Déjà 5 jours que j’ai posé les pieds au Tchad et j’ai la désagréable sensation de me tourner les pouces, de devenir plus médiocre que dans ma période de Rmiste. Etonnant, ce regain de nombrilisme alors que la situation est chaotique. Il ne reste plus que les murs du CCF. Tout, tout a disparu. A présent, si je veux tenir le choc et trouver des solutions au chaos, relever la tête et rebondir, il faut que je m’accroche. Comment invoquer la pensée positive ? Je vais y songer, en tout cas, alors que j’entends un avion décoller, je me rends compte que je n’ai pour l’heure aucune inspiration.
---------------
Episode 8 : re-con-struc-tion
Saut de presque 10 mois. La tête dans le guidon, on devient presque « con » quand on n’a qu’un mot à la bouche : « re-con-struc-tion ». Même plus capable de prendre de la distance et d’écrire un peu ! Je n’ai pas écrit non plus parce que le temps pressait, le mot « éphémère » commençait à prendre du sens et je voulais donc profiter intensément de ces derniers mois… Dommage, je ne vous parlerai pas de mes belles rencontres, des spectacles qui m’ont fait vibrer, des séquences émotion à chaque départ d’ami…
Voilà, les deux années se sont écoulées. Ma mission au Centre Culturel Français a été le symbole du paradoxe de ce pays : le chaos et l’espoir.
Les activités artistiques ont pu reprendre en novembre 2008, le lieu a été rééquipé, j’ai pu partir la conscience tranquille et fêter « dignement » mon départ, tout en ayant cette impression qu’il était trop simple de partir maintenant : je n’avais pas fini d’agir, de faire des rencontres, de partager, de rire et de danser. Bon, pour ça, ce n’est pas grave, ça s’exporte et puis, la vitalité n’a pas besoin de pays. Alors, malgré la distance, je vais continuer à penser q’il est possible de bâtir des projets, de vivre ensemble, de croire que l’avenir appartient à chacun et de constater que le gouvernement et la société maîtrisent la notion de conscience générale. Je vais continuer à imaginer aussi que si je reviens dans quelques années, les scènes indépendantes auront fleuri à N’Djamena et que de la ville n’émanera plus le vacarme des militaires mais la musique, les couleurs et les rires d’enfants (et revint la poésie… hi ! hi ! hi !).

Yvanne.

Aucun commentaire: